L’école persiste et signe dans le désastre de l’apprentissage de la lecture
Les différentes méthodes d’apprentissage de la lecture, employées depuis les années 70, ont produit des résultats contestés. Aujourd’hui, 20% d’écoliers entrent en sixième sans maîtriser le français. Deux chercheuses ont publié les résultats d’une enquête menée sur trois ans, leur conclusion argumentée dérange. Mais le ministère de l’éducation national garde le cap, avec des méthodes dites « progressistes » censées lutter contre les effets des inégalités sociales.
L’école persiste et signe dans le désastre de l’apprentissage de la lecture
Édité le 20 avril 2017 : On dénombre environ 20% d’élèves en difficulté en français à l’entrée en sixième. Le tau de 40% précédemment annoncé concerne les élèves ayant des lacunes en mathématiques. (Source)
Sandrine Garcia est Professeur en sciences de l’éducation, avec la psychologue Anne-Claudine Oller qui est également maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne ; publient Réapprendre à lire. Les résultats de cette enquête sur l’acquisition de la lecture mettent en cause les méthodes actuelles, pourtant issues d’une volonté de contrecarrer la reproduction sociale. Cette charge sévère et argumentée est inattendue.
La controverse récurrente autour de l’usage des méthodes « globale » ou « syllabique » dans l’apprentissage de la lecture dissimule des choix pédagogiques plus profonds, qui ont durablement compromis la démocratisation de l’un des savoirs premiers les plus déterminants pour la réussite scolaire ultérieure : la lecture.
Sandrine Garcia explique le contexte de l’enquête réalisé avec des classes de CP :
Nous avons entrepris un travail de trois ans dans une école de ville moyenne. Nous avons vite constaté que la meilleure façon de résoudre les difficultés d’apprentissage n’est pas nécessairement d’emprunter « des chemins différents », comme le prescrit une forme dominante de « pédagogie différenciée », mais d’investir plus de temps dans l’entraînement.
Notre observation a mis en évidence que, malgré des enseignants excellents et très investis, l’existence de deux professionnels du Rased (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) et nos propres efforts (nous participions, la première année, aux dispositifs de soutien pour les élèves en grande difficulté), les résultats étaient décevants. La méthode de lecture utilisée par les enseignants, méthode très courante, reposait en grande partie sur des « devinettes », un système déductif qui mettait en échec beaucoup d’enfants…
Replacer le réalisme avant les idéologies
Les deux spécialistes en sciences de l’éducation proposent une manière plus égalitaire pour l’apprentissage de la lecture, centrée notamment sur l’entraînement et la répétition en partie délaissés. Elles disent à Cécile Dumas (sur libération.fr) pourquoi des méthodes de lecture progressistes se montrent inégalitaires :
Depuis la fin des années 70 jusqu’à maintenant, des convictions pédagogiques formulées par des experts ont été, dans le domaine de la lecture, transformées en dogmes : le déchiffrage est nocif pour les élèves, ils ne doivent pas lire à voix haute pour apprendre à lire mais doivent apprendre sur de «vrais textes», non sur des manuels avec une progression organisée pour l’apprentissage, etc.
On n’en est plus là maintenant heureusement mais cela survit sous d’autres formes : récemment, a été imposée l’idée que l’apprentissage de la lecture devait se faire à partir de textes littéraires alors qu’il ne s’agit que d’une conviction qui rend très difficile le déchiffrage pour les élèves : en fait, ces supports sont de vrais livres pour la jeunesse qui ne sont pas conçus pour l’apprentissage !
Certes, les experts argumentent leurs méthodes au nom de principes valorisants, comme ceux du sens, de la construction d’un «sujet lecteur», etc. Mais ces méthodes (…) ne sont pas assez centrées sur l’apprentissage progressif de la lecture. Elles mettent ainsi en échec des élèves désavantagés socialement et culturellement.
Leur constat est alarmant :
Par la suite, ces élèves consultent pendant des années des orthophonistes, et sont même, dans le pire des cas, «orientés» vers des filières de relégation car ils sont objectivement placés en situation de handicap. Les enseignants qui, eux, sont confrontés à ces difficultés, auront plutôt tendance à mettre en cause l’élève et ses capacités, ses pathologies éventuelles plutôt que l’inadéquation entre une méthode et un enfant qui n’a pas encore développé certaines aptitudes intellectuelles (comme la mémoire de travail).
Leur proposition :
Le dispositif, que nous avons élaboré durant notre enquête de terrain, s’est appuyé sur une méthode moderne d’enseignement explicite de la lecture au lieu de partir des conceptions savantes ou philosophiques sur le «projet de lecteur», la «construction du sujet», le «système langue», etc. comme le font souvent les méthodes actuelles. Des temps d’entraînement ont été institués pour les élèves les moins avancés, en dehors de la classe (pris sur le temps scolaire). Le fait d’être en petit groupe permet concrètement à ces élèves d’avoir un temps de lecture et d’écriture bien plus important qu’en groupe classe.
Les quatre piliers pour apprendre à lire
Au delà de la seule méthode explicite, les deux auteurs relèvent les points importants pour réussir l’apprentissage de la lecture pour tous :
- méthode explicite pour toute la classe
- entraînement
- travail avec les parents
- préparation en grande section de maternelle
Car les deux enquêtrices ne ne sont pas cantonnées aux exercices à mettre en oeuvre durant les temps de classe, des plans de travail et de révision ont aussi été fournis aux parents, en particulier avant les vacances scolaires (y compris d’été), avec des explications précises.
D’autre part, un travail a aussi été réalisé en grande section de maternelle pour apprendre aux élèves à déchiffrer des syllabes simples, à composer de petits mots : sans qu’il ne s’agisse d’un apprentissage de la lecture, c’était plus une préparation.
L’échec scolaire a tendance à être médicalisé
Interrogé sur la question, l’explication est apportée sans équivoque possible :
C’est une tendance massive, comme le montrent aussi d’autres travaux qui portent sur l’école et les classes populaires. Quand des démarches prescrites ne produisent pas les effets escomptés, les enseignants tendent très massivement à expliquer l’échec par tout un ensemble de dysfonctionnements familiaux et/ou psychologiques. Il y a aussi des professionnels de la psychologisation de l’échec scolaire ou des troubles divers des apprentissages. Les enseignants s’en prennent hélas aux parents plutôt qu’à la manière dont on ne les forme pas suffisamment à faire ce qui fonctionne avec tous les élèves.
En conclusion de leur entretien les deux co-auteurs de cette enquête de terrain affirment que l’on peut faire autrement que de se référer à un passé idéalisé ou à la course aux statistiques de réussite – baccalauréat ou licence :
On peut travailler sérieusement à expérimenter ce qui améliore réellement les apprentissages des élèves et ce dans tous les domaines. Et déconstruire le mythe de l’innovation, qui règne partout. Il n’y a aucune corrélation nécessaire entre innovation et démocratisation, ni entre tradition et réussite ! Cela se passe ailleurs.
Les révélations encombrantes
L’Education nationale et les syndicats continuent d’ignorer les travaux des deux spécialistes, tant leurs conclusions sont inaudibles. Oui l’enseignement de la lecture est catastrophique parce que les méthodes pédagogiques utilisées depuis trois décennies le sont également. Il faudra bien se rendre à l’évidence car l’enjeu est d’importance.
A moins que la volonté affichée d’une « école pour tous », ne soit et ne reste dans les faits, qu’un vaste champ d’expérimentation sans fin et sans véritable autre but que celui de servir des intérêts politiciens inavoués. Mais ceux d’entre nous qui ont été (bien) formé à la lecture, savent aussi lire entre les lignes…
Le livre : Réapprendre à lire – De la querelle des méthodes à l’action pédagogique , Sandrine Garcia, Anne-Claudine Oller, édition du Seuil
Sources :
-
Ecole primaire : la fabrique des dyslexiques, sur lemonde.fr
- Anne-Claudine Oller et Sandrine Garcia «Il y a une instrumentalisation politique de l’apprentissage de la lecture», sur libération.fr
- L’école et ses Khmers, sur marianne.net
-
L’apprentissage de la lecture à l’école, un débat éternellement politisé en France, sur rfi.fr
L’apprentissage de la lecture n’est pas acquis pour tous dans notre système scolaire, faites-le savoir en partageant cet article:
Une méthode existe depuis le début du 20 ème siècle ! Elle n’est pas discriminatoire, elle met en pratique la mémoire tactile des petits enfants dès 3 ans. L’enfant apprend sans y être forcé, lorsqu’il se sent prêt et que le matériel attire son attention. Ce sont des lettres rugueuses cursives, permettant à l’enfant de mémoriser le geste de l’écriture (il parcourt la lettre de ses doigts), le son qui correspond au symbole dessiné en le répétant avec le mouvement, et le visuel du symbole du son. Cette méthode l’une des nombreuses facette de la méthode Montessori. Elle est sans violence, sans mise en échec, lorsqu’elle est appliquée correctement et globalement. Mais aucun des ministères de l’éducation depuis 100 ans n’a voulu la démocratiser, étonnant non ? Mais le but d’une société de consommation est-elle de réellement instruire les individus qui la compose où de pouvoir les manipuler de façon aisée ?
Bonjour,
Il me semble que cet article recèle pas mal de manques. Il est clair qu’il ne veut pas « déflorer » le contenu du livre et ménager autant que possible les éventuelles révélations qu’il apporte. Mais on pressent qu’elles sont bien maigres ces « révélations ». Elles semblent être, une fois de plus, des appels à faire preuve de bon sens : utiliser une méthode qui vaut pour toute la classe, qui soit suffisamment progressive et ne décourage pas les élèves… la belle affaire ! Est-il bien nécessaire d’être chercheur pour enfoncer de telles portes ouvertes ?
Ce qui m’agace un peu dans ces interminables discussions sur la lecture et ses apprentissages, c’est l’absence quasi totale de rapports de terrain. Je connais pour ma part des instituteurs très investis dans leur métier et qui tentent des expériences remarquables avec leurs élèves. Beaucoup sont couronnées de succès, mais… on n’en entend jamais parler : on ne fait de publicité qu’aux travaux des chercheurs.
Par contre, je suis très étonné de leur absence à peu près totale dans les domaines où ils pourraient être utiles, à savoir, les méthodes d’apprentissage utilisées dans les différents pays du monde. Je suis tombé il y a peu de temps sur une étude pourtant sur la proportion de « dyslexiques » dans des différentes langues de l’humanité. Étude très incomplète et effroyablement sommaire : on n’y parle, pour la langue anglaise, que des États-Unis et pour le français, que de la France. Il y aurait grand besoin d’avoir des informations sur le plan international. Là, on a vraiment besoin de données., les chercheurs ont du pain sur la planche. Mais sans doute que ces recherches ne sont pas très « sexy ». Manifestement il est plus rentable pour leur image de parler à la place des gens de terrains et de leur expliquer comment ils devraient faire leur métier plutôt que de chercher pour de bon. Pourtant, c’est leur job non ?
En l’espèce, mesdames les donneuses de conseils et vendeuses de livres, pourriez-vous nous donner ces informations utiles : dans quels pays l’apprentissage de la lecture est-il excellent ? Quelles sont les méthodes d’apprentissages qu’on y emploie ? Comment sont-elles mises en œuvres ? Comment sont-elles perçues par les destinataires ? Quels sont les items d’évaluation de ce qu’est une « bonne lecture » ? Quels sont les résultats d’éventuels test d’évaluation de la lecture effectués sur les populations adultes ? Existe-t-il des test de comparaison des niveaux de lecture entre les générations ? Lorsque j’étais enfant, il y avait beaucoup de familles où les enfants lisaient mieux que leurs parents. Est-ce que c’est encore le cas ? Est-ce que ça a changé ? Y a-t-il une corrélation entre la présence de la télévision à la maison et le niveau de lecture ?
Pour toutes ces questions, il faut des chercheurs. Eux seuls ont accès aux données socio-économiques et peuvent les croiser. Alors allez-y, faites votre boulot, cherchez, et cessez de parler à la place de ceux qui ont eu le courage et le civisme de « mettre les mains dans le moteur ».
Ces braves gens, qui professent l’exact contraire qu’Evelyne Charmeux, arrivent aux mêmes sous entendus complotistes : on ferait exprès de nos jours d’utiliser de mauvaises méthodes de lecture pour garder le pouvoir sur des populations volontairement sous éduquées. Amusante coïncidence… Malgré tout, rappelons que nous sommes dans un monde où la qualité de la formation initiale est une plus-value susceptibles d’intéresser des entreprises créant et produisant des produits à haute valeur ajoutée.
https://www.charmeux.fr/blog/
Par ailleurs, il est intéressant de lire ceci en contrepoint : https://www.cahiers-pedagogiques.com/Reactions-a-la-lecture-du-livre-Reapprendre-a-lire-de-Sandrine-Garcia-et-Anne-Claudine-Oller
merci pour ce lien
… ah les cahiers-pédagogiques.com !!!!
De rien… J’ai trouvé votre article sur Facebook et juste après ce lien et je dois dire que cela pose quand même des questions sur la démarche d’ensemble de ces chercheuses. Mais c’est bien d’avoir ces deux approches.
Heureusement que vous vous pemettez ainsi de proposer cette étude !cela devient vitale pur l’intelligence de nos enfants.
Merci
Cntp nouvelle caleonie